Billets qui ont 'Sodome et Gomorrhe' comme oeuvre.

Sodome et Gomorrhe

Ligne 1, 7 heures.
Je ne connaissais pas cette couverture, subtilement en rappel de la robe de la lectrice.

femme lisant Proust sur la ligne 1


Lisieux

Traversée de la région parisienne entre six et neuf heures du matin. Pas une bonne idée. Des champs autour de Massy, toujours étranges. En retard, déplacement du rendez-vous, café au lait à Evreux, je dors dix minutes.

Proust, Sodome et Gomorrhe deuxième partie, La Raspelière, toponymie, la visite des Cambremer. Que c'est drôle et méchant et finement observé. Je note une citation sur le tricot à ajouter à mon billet sur Ryan Gosling et une citation de Leibniz qui me fait penser à mon année à l'ICP (beaucoup de raison, peu de foi): «Un philosophe qui n'était pas assez moderne pour elle, Leibnitz, a dit que le trajet est long de l'intelligence au coeur.»

Crêperie, blagues Carambar (— Pourquoi ta sœur est toujours au téléphone? — Parce qu'elle veut garder la ligne).

— Ça veut dire quoi, aliénation?

Je prépare mon oral de demain pendant que A. passe son entretien.

Puis basilique de Lisieux, histoire de France, verveine, tilleul, miel, confiture de tomates vertes, Histoire d'une âme en MP3. Je fais l'erreur de ne pas acheter de cartes postales parce que je pense avoir le temps de m'arrêter ailleurs. Ce ne sera pas le cas.

Au lieu de rentrer directement, je passe par Deauville et Trouville1 puis Honfleur. Je veux montrer ces villes à A. mais aussi je veux passer par le pont de Normandie.

Nous rentrons. Je redors dix minutes sur une aire d'autoroute. Même Proust ne réussit plus à me tenir éveillée. La voiture tient vaillamment le coup, ce n'était pas évident, elle doit avoir trois cent mille kilomètres.



Note
1 : A. est la plus innocente du monde. A des camarades de classe qui annonçaient fièrement qu'elles allaient à Trouville, elle avait répondu: «c'est quoi cette ville si perdue qu'elle s'appelle Trou?»

Proust : un miroir

Il faut, du reste, ajouter qu'on ne peut imaginer combien, d'une façon plus générale, M.de Charlus pouvait être insupportable, tatillon, et même, lui si fin, bête, dans toutes les occasions où entraient en jeu les défauts de son caractère. On peut dire, en effet, que ceux-ci sont comme une maladie intermittente de l'esprit. Qui n'a remarqué le fait sur des femmes, et même des hommes, doués d'intelligence remarquable, mais affligés de nervosité? Quand ils sont heureux, calmes, satisfaits de leur entourage, ils font admirer leurs dons précieux; c'est, à la lettre, la vérité qui parle par leur bouche. Une migraine, une petite pique d'amour-propre suffit à tout changer. La lumineuse intelligence, brusque, convulsive et rétrécie, ne reflète plus qu'un moi irrité, soupçonneux, coquet, faisant tout ce qu'il faut pour déplaire.

Proust, Sodome et Gomorrhe, p.1090, Pléiade Clarac

Senso

Senso, pour des raisons églogales évidentes. «La saison commence à La Fenice» doit venir de là.

Venise comme je l'ai vue en 1986 et comme elle n'existe plus, maintenant qu'elle est repeinte et pimpante.
Des intérieurs comme des décors d'opéra, des extérieurs dans la même tonalité que les fresques de la villa de campagne.


Je passe à la librairie Compagnie. L'émotion parmi les livres est plus grande qu'autrefois. Elle grandit. D'une certaine façon, lire me devient de plus en plus difficile, car chaque mot sur la page m'étonne. Ce n'est même plus «qu'est-ce qu'un nom?» mais «qu'est-ce qu'un mot?», comment se fait-il que ces signes aient un sens? (Et que je sois de plus en plus attachée aux versions bilingues n'est pas un réflexe de puriste, mais un besoin de rêver.)

J'étais venu chercher le Tristan Storme mais il n'est plus en rayon. Patrick a raison, il faut acheter quand on hésite. Je repars avec
- Parménide de Heidegger
- L'eschatologie occidentale de Jacob Taubes
- La logique sans peine de Lewis Carroll
- Loin de Byzance de Joseph Brodsky
- la querelle des universaux d'Alain de Libera

Un jour je lirai tout cela. Un jour je fermerai les portes et je lirai ma bibliothèque.


ajout le 29/01
J'écoute Sodome et Gomorrhe. Les remarques du narrateur à propos de la lettre de M. de Charlus à Aimé me semblent assez bien résumer Senso, avec la comtesse en M. de Charlus.

[...] il [Aimé] reçut une lettre fermée par un cachet aux armes de Guermantes et dont je citerai ici quelques passages comme exemple de folie unilatérale chez un homme intelligent s’adressant à un imbécile sensé. [...] Elle [la lettre] était, à cause de l’amour antisocial qu’était celui de M. de Charlus, un exemple plus frappant de la force insensible et puissante qu’ont ces courants de la passion et par lesquels l’amoureux, comme un nageur entraîné sans s’en apercevoir, bien vite perd de vue la terre. Sans doute l’amour d’un homme normal peut aussi, quand l’amoureux, par l’intervention successive de ses désirs, de ses regrets, de ses déceptions, de ses projets, construit tout un roman sur une femme qu’il ne connaît pas, permettre de mesurer un assez notable écartement de deux branches de compas. Tout de même un tel écartement était singulièrement élargi par le caractère d’une passion qui n’est pas généralement partagée et par la différence des conditions de M. de Charlus et d’Aimé.

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